Histoire de baignoire

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Il est 15h30 très précise et Mlle Chiffre sonne la cloche de bronze du portique pour signifier à ses élèves que la récré est terminée. Les pâtés de sable, les marelles et autres japonaiserie c’est bien beau, mais ça ne fait pas rentrer les mathématiques dans ces charmantes têtes blondes, et elle est payée pour ça, non de non !

Au son cristallin de la cloche (celle en bronze, pas la maîtresse), les enfants s’alignent donc en rang pour pouvoir rentrer dans la classe.

Une fois tout le monde assis et calmé (il y a bien Marion qui dit que les autres voulaient l’empêcher de rentrer, mais devant l’indifférence générale, elle finit par la fermer), Mlle chiffre, Marianne de son prénom, annonce le problème qui va occuper tout le monde cette après midi.

Elle rappelle derechef que la meilleure solution sera affichée sur le tableau d’honneur pendant une semaine avec une étoile d’or accolée dessus. Cette solution sera choisie par les élèves de la classe d’à coté, du cour préparatoire, qui savent à peine lire et écrire et qui préfèrent jouer aux duplos plutôt que faire des math, mais visiblement ça ne choque personne. Pour qu’ils puissent faire leur choix, en plus du résultat, il pourront observer les élèves en pleine réflexion. Chacun sait surtout que cette étoile d’or attirera à son auteur des félicitations du conseil de classe, une belle boite de chocolat et la jalousie des autres. Que du bon !

Le problème est le suivant :

Une baignoire se vide dans une autre via plein de tuyaux très compliqués et via des trous dans la coque. Une petite source alimente la première baignoire. Le niveau baisse à la vitesse de « ça va tellement vite que le fond est déjà presque sec ». Comment faire pour que la première baignoire ne se vide pas, voir même que le niveau remonte ?

Les enfants sont sensés réfléchir au problème pendant une heure, puis présenter tour à tour leur solutions au jury.

Alors que le silence vient à peine de se faire, Marion se lève et tient à rappeler à tout le monde que c’est pas juste que certains aient essayé de l’empêcher de rentrer et que c’est de la concurrence déloyale et qu’elle demande à ce que la prochaine fois chacun rentre dans la classe chacun son tour et qu’elle est martyrisée et qu’elle n’est pas méchante et que les autres ne sont que des pourris manipulateurs. Ayant une fois de plus constaté que personne n’en avait rien à faire, et que en plus il y avait eu des commentaires comme quoi elle ne savait pas compter, elle se rassoit donc et commence à bouder.

Francis et Nicholas, directement accusés par Marion se lèvent à leur tour et annoncent en chœur que chacun à sa chance et que ce n’est pas juste d’être accusé sans preuve et que de toute façon ce n’est pas vrai. Puis se rassoient à leur tour et commencent à travailler. Les seuls commentaires furent ceux à moitié étouffés de Dominique et de l’autre Francis annonçant que de toute façon c’est les chouchous de la maîtresse, mais que vu que ce n’est pas la maîtresse qui choisit à la fin, ils allaient avoir une surprise. Et que en plus de toute façon leur idée elle est mieux.

Petit rebondissement au bout de 10 minutes quand Jean Patrice quitte la classe en pleurant dans l’indifférence générale.

Puis le silence retombe et chacun se concentre sur sa solution au problème.

Une heure a passé, et chacun est prêt. Sauf Nicholas qui dit aux autres de commencer sans lui, il a une dictée à finir.

Le premier à s’atteler à la tache est le petit Francis qui attaque son exposé présenté en 30 étapes avec des animations, des dessins et plein de chiffres. Son idée est de faire plein de petites choses à droite à gauche sur les trous, les tuyaux et sur la source pour modifier chaque élément indépendamment et ainsi stabiliser le niveau. Tout le monde est impressionné, bien que quelques remarques fusent sur le choix des couleurs. Il y a bien quelques élèves pour dire tout bas que c’est n’importe quoi, mais personne n’y trouve vraiment à redire.

S’en suivent les autres élèves, présentant des solutions allant de « Je supprime les tuyaux en cuivre, ils drainent 10 fois plus d’eau que les tuyaux en fonte » à « Je bouche les trous, je bouche les tuyaux et je rajoute de l’eau sans plus d’explication » en passant par « je détourne la source pour l’amener plus loin, comme ça il y aura plus d’eau dans la baignoire« , ou encore « je fais pousser des nénuphars, comme ça l’eau est propre » avec des résultats prévisionnels tous au delà des objectifs, avec même un élève prévoyant de faire déborder la baignoire.

Devant les présentations des élèves, Mlle Chiffre, au début intéressée et concentrée, se tient maintenant la tête entre les mains. Son expression varie régulièrement d’un état désespéré à franchement énervé, au fur et à mesure des annonces.

La meilleure animation est en tout cas attribuée à la boule de papier envoyée d’on ne sait où par on ne sait qui et qui va atterrir sur la tête du petit Francis pendant son discours.

De l’autre coté de la salle, deux groupes se forment rapidement parmi les élèves chargés de statuer sur la meilleure solution proposée. d’on coté, on assiste à une écoute respectueuse et concentrée, même si les piques que s’envoient les plus grand, à coups de « Mais bien sur », « C’est n’importe quoi », « Et tu veux pas la lune aussi ? », « Et ta solution, tu l’as trouvé dans une pochette surprise ? » ou encore « Hé c’est mon idée ça ! » rencontrent visiblement un franc succès. L’autre groupe, une petite moitié des élèves, s’en fiche royalement et préfère vaquer à ses activités habituelles.

Nouveau coup d’éclat lorsque la petite Chisty quitte la salle de cour, la tête haute en clamant qu’elle votait pour Nicholas, que ces idées étaient les meilleures, et qu’elle avait les mêmes. Réaction des autres … complètement absente. Et puis vu qu’on ne lui demande pas son avis, en fait tout le monde s’en fout.

Jamais exercice n’aura généré autant de coup bas ni de commentaire déplacé, amenant le niveau de réflexion à celui d’un poulpe devant un coffre vide, décoré d’un drapeau.
Jamais choix n’aura été fait avec de si mauvais critères, ni de si mauvaises analyses.

Jolie histoire ? Pas vraiment. Et bien les élections présidentielles qui approchent ressemblent à ça. Remplacez le nom des élèves par celui des candidats, et prenez un peu de recul.

Personnellement ça ne me fait pas rire, et le pire c’est qu’il va falloir choisir. Si vous n’avez pas fait votre choix, bon courage. Le mien n’est pas encore fait, et ça va être dur.

Enjoy

 

  • EDIT : 17 février 2012 16:14, par zeu perenoel

La phrase du jour par l’un de nos présidentiable :

« la campagne c’est ça, parler, échanger, et ne pas simplement dire tout le temps du mal des autres ».

Ah parce que quand on est en campagne, c’est normal de dire du mal des autres ? Echanger des arguments dans le respect des personnes et des idées, ca n’est pas possible, parce qu’on est en campagne ? Rester courtois sans casser du sucre sur le dos du voisin ce n’est pas imaginable ? Parce qu’il y a une course pour un siège, on est obligé de discréditer les concurrents ?

Bizarre, il me semblait que nos élites étaient justement des élites, et pas des gamins en cours de récré.

Pauvre France

🙁

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